jeudi 11 juin 2009

PHILOSOPHIE ET POLITIQUE

Marcel Gauchet: «Le communisme rendait fou, le néolibéralisme rend stupide»


Intervenant lors d’une conférence à l’école des Hautes études en sciences sociales (Ehess) sur le thème « la crise financière : une approche politique », Marcel Gauchet est revenu sur la portée politique de la crise actuelle. Le philosophe se montre très sceptique sur les capacités de nos politiques à réguler la mondialisation.








Selon le philosophe, cette crise n’est qu’un premier accroc, un épisode initial, «il est d’ailleurs assez clair que la plupart des responsables de toutes obédiences attendent que cela passe et sont bien décidés à recommencer comme par devant dès que l’orage sera passé, après quelques concessions inévitables mais limitées sur le chapitre de la fameuse régulation».

Une crise plus grave pour la gauche que pour la droite : « Au travers du néolibéralisme, c’est une organisation du monde qui s’est mise en place. Cette vision commence à toucher à ses limites. Pas seulement, les dirigeants d’obédience libérale, mais aussi la gauche. Nulle part, la gauche, en Europe, n’a tiré profit électoral, crédit d’opinion de cette crise là. La crise est d’ailleurs plus grave pour la gauche que pour la droite parce que la gauche n’a pas à sa disposition la ressource idéologique du pragmatisme. Elle est obligée de construire et manifestement sur ce chapitre, elle n’a pas grand chose à suggérer de crédible qui rallierait les foules ».

Une crise qui remet en question la philosophie de la construction européenne : « La crise met manifestement en question toute la philosophie de la construction européenne telle qu’elle s’est redéfinie dans les années 80. L’urgence, le travail de pompier où en sont les dirigeants politiques impliquent de passer par d’autres canaux. Cette crise met en échec toute la philosophie de la gouvernance dont se gargarisait nos élites. Nous n’en sommes qu’au tout début d’une remise en question globale ».

L’illusion d’un retour du politique : « Il faut tordre le coup à un canard journalistique : cette crise marquerait un retour du politique ! Il n’y a aucun retour du politique. Le politique a été pris en otage par les financiers qui sont venus lui mettre le marché en main : on saute tous ou vous faites quelque chose. Et ce quelqu’en soit le prix. On voit que le prix augmente tous les jours…Nous avons assisté à un appel au secours désespéré du politique, cela n’a rien à voir à un retour du politique».

L’impuissance du politique : « Le politique n’a aucune idée de ce qu’il faut faire. Il agit à très courte vue pour colmater les brèches et boucher les trous, sans aucune vision ne serait-ce qu’à très moyen terme. Il y a bien l’horizon magique de la régulation, qui règlerait tout, mais c’est une incantation. La mondialisation économique a été faite pour contourner tout système de règles, c’est son principe. Vouloir réguler la mondialisation, c’est vouloir construire un cercle carré. Il y a très peu de chances que nous assistions à ce genre de choses dans les mois prochains ».

Ce que la crise nous apprend sur l'état intellectuel de nos sociétés : « La mondialisation a surtout pour produit un monde sans têtes. Le politique ayant quelque chose à voir avec l’auto-compréhension par l’humanité de sa propre condition et l’effort pour l’orienter, nous mesurons là l’étendue des dégâts. C’est peut-être moins sur le plan institutionnel que le politique a décliné au cours de la récente période que dans l’ordre intellectuel. Sans contenu, le politique n’a plus de justification».

Une crise de l’expertise économique : « Il faut dire un mot de ces fameux économistes qui ont mené une campagne très remarquable en terme de marketing depuis une trentaine d’années et dont on nous a dit, pas entièrement à tort, qu’ils allaient heureusement prendre la relève des intellectuels défaillants. Les intellectuels ne disaient que des bêtises, nous avions là des gens sûrs armés d’une science solide et d’ailleurs pleine de mathématiques. C’est rassurant. La conclusion provisoire, laissons leur une chance, est que les économistes sont pires que les intellectuels. Les experts se trompent plus que les idéologues, qui avaient au moins l’avantage d’être inoffensifs ce qui n’est pas le cas de leurs homologues d’aujourd’hui. Il serait temps de mettre à exécution le fameux programme de la critique de l’économie politique».

Un moment idéologique intense : Le communisme rendait fou, le néolibéralisme rend stupide. «Tout ceci nous renvoie à une dimension cachée de notre monde, que la crise met à nu : le déclin des idéologies révolutionnaires -qui ne m’attriste pas- a fait croire que nous entrions dans une époque post-idéologique. C’est tout le contraire, nous sommes dans un moment idéologique intense dont la mise en place de cette économie financière globale a été l’un des vecteurs efficaces. Mais aussi un entraîneur idéologique. Cette idéologie a l’étrange propriété de ne pas se prendre pour telle car elle est très largement partagée et qu’elle entretient un rapport direct avec la pratique économique qui en dissimule les rouages. Il va être, de ce fait, extrêmement difficile de s’en déprendre et il faudra beaucoup plus que ce coup de semonce. Nous sommes passés du régime idéologique de la folie au régime idéologique de la bêtise ! Le communisme rendait fou, mais le néolibéralisme rend stupide ! ».

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